Dérisoire, ironique, sarcastique, cynique … mais aussi … cocasse, profond, fluide, extravagant … bref en un mot jubilatoire !
merci Eric ;-)
J'aimerais tellement voir de mes yeux ces photos de carte Michelin !!!
EXTRAITS :
Rien à ajouter à ce qui a été déjà écrit ;-)
La carte et le territoire, un roman
d’une "profondeur crépusculaire et d’une atroce drôlerie"
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Roman total, bilan de l’état du monde
et autoportrait, labyrinthe métaphysique sidérant de maîtrise : avec "La
Carte et le Territoire", Michel Houellebecq signe un très grand livre.
Car La Carte et le Territoire est avant tout un
formidable autoportrait de Michel Houellebecq, en écrivain, en artiste, en
enquêteur, en homme ou en chien, en solitaire qui n’a plus rien à attendre de
l’humain passé de la société du spectacle à celle de la consommation. Rarement
on aura vu un écrivain se faire apparaître avec une distance aussi comique que
glaçante, avec tendresse aussi, comme s’il était observé par un autre, dans son
propre roman. Un roman à la structure complexe, vertigineuse, galerie des
glaces qui donne le tournis : au-delà de sa propre apparition, l’écrivain va
s’incarner aussi dans ses autres personnages, devenus autant d’avatars de
lui-même.
Il est Jed Martin, cet artiste sur lequel s’ouvre le roman,
et qui fera fortune en exposant d’abord des reproductions de cartes Michelin
représentant la France, puis des peintures de “métiers”, ces maillons de la
chaîne de production dont, au plus haut du Marché, sont Steve Jobs et Bill
Gates, héros d’un de ses tableaux. Il est Jasselin, dans la dernière partie du
livre, le flic chargé de mener l’enquête sur le meurtre sauvage de Michel
Houellebecq, qui vit seul avec sa femme, sans enfant, et qui a dû “apprendre” à
regarder la mort en face, à scruter ces cadavres en décomposition auxquels il
est constamment confronté. Chacun représentant une facette de la démarche de
l’écrivain.
Et puis, Houellebecq est aussi Houellebecq, écrivain retiré
du “commerce” des humains, installé seul en Irlande puis dans la province
française, qui s’empiffre de charcuterie industrielle et de vins argentins.
Enfin, il est aussi Michel, dit Michou, le bichon bolonais du couple Jasselin,
devenu stérile à cause d’une maladie : “Ce pauvre petit chien non
seulement n’aurait pas de descendance, mais ne connaîtrait aucune pulsion, ni
aucune satisfaction sexuelle. Il serait un chien diminué, incapable de
transmettre la vie, coupé de l’appel élémentaire de la race, limité dans le
temps – de manière définitive.” Mais après tout, est-ce si grave quand le
sexe, comme le pense l’inspecteur, n’est au fond que “(…) la lutte, le
combat brutal pour la domination, l’élimination du rival et la multiplication
hasardeuse des coïts sans autre raison d’être que d’assurer une propagation
maximale des gènes.” Comme le serait toute structure capitalistique ?
(…) Roman d’un écrivain arrivé à maturité et qui semble
avoir suffisamment “compris” la vie pour accepter de lâcher prise, roman
stoïque sur l’état du monde, l’état des êtres, le bilan d’une vie, la fin de
Houellebecq-personnage, sacrifié, comme tout, sur l’autel de l’argent. Car au
XXIesiècle, les artistes n’ont plus de morts romantiques : on les flingue pour
des raisons triviales, vulgaires, comme on vit souvent toute sa vie. “Ce
qui marche le mieux, ce qui pousse avec la plus grande violence les gens à se
dépasser, c’est encore le pur et simple besoin d’argent”, confiera le père
de Jed à son fils.
L’amour, la poésie, sont pourtant présents. Mais comme des
choses précieuses, fugaces, éphémères : les seuls vrais luxes quand tout se
réifie, se vend, s’achète. Et tant pis pour ceux qui, comme Jed qui ne saura pas
retenir sa fiancée Olga, laisseront passer l’amour – il n’y a jamais de seconde
chance, constate Michel Houellebecq. Reste que ce magnifique roman irréductible
à une seule thèse, construit comme un labyrinthe, fourmillant de visions
métaphysiques, écrit avec une maîtrise sidérante, nous faisant constamment la
grâce de parer son désespoir d’une ironie irrésistible, n’est pas à lire comme
un document sur la société. Tel Jed Martin qui choisit d’intituler sa première
exposition La carte est plus intéressante que le territoire, ce que
nous dit Michel Houellebecq à travers cette magistrale leçon de littérature
qu’est aussi La Carte et le Territoire, c’est que le roman sera
toujours plus intéressant (plus vrai, plus fort, plus beau) que toute réalité.
A condition qu’il s’agisse d’un très grand roman, comme il en arrive rarement,
comme il vient de nous en arriver.
Nelly Kaprièlian, les Inrocks
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Si le nouveau roman de Michel Houellebecq s'avère être un succès de librairie, ledit succès n'aura assurément pas ce parfum de scandale qui a accompagné les précédents livres de l'auteur. Dans La Carte et le Territoire, pas d'apologie du tourisme sexuel, pas de scènes de sexe vaguement glauques, pas de règlement de comptes idéologique ou familial direct. Pas non plus ce caractère anticipatoire qui, à La Possibilité d'une île (2005), conférait une puissante aura visionnaire. Rien de ce genre, rien de spectaculaire ni de sulfureux, rien qui irrite d'emblée l'épiderme. Avec La Carte et le Territoire, l'écrivain Michel Houellebecq fait en quelque sorte l'expérience, évidemment pas de l'anonymat ni de l'absence d'a priori, favorable ou défavorable, mais d'une certaine forme de modestie. Du moins, d'une réception critique et publique relativement vierge des exaspérations collatérales qui, entourant un livre, détournent les regards qui croient se porter sur lui. Et l'évidence s'impose que Houellebecq franchit aujourd'hui formidablement ce cap. Donnant, avec ce livre, son roman peut-être le plus accompli, certainement le plus ironique, sans doute le plus profond.
Si le nouveau roman de Michel Houellebecq s'avère être un succès de librairie, ledit succès n'aura assurément pas ce parfum de scandale qui a accompagné les précédents livres de l'auteur. Dans La Carte et le Territoire, pas d'apologie du tourisme sexuel, pas de scènes de sexe vaguement glauques, pas de règlement de comptes idéologique ou familial direct. Pas non plus ce caractère anticipatoire qui, à La Possibilité d'une île (2005), conférait une puissante aura visionnaire. Rien de ce genre, rien de spectaculaire ni de sulfureux, rien qui irrite d'emblée l'épiderme. Avec La Carte et le Territoire, l'écrivain Michel Houellebecq fait en quelque sorte l'expérience, évidemment pas de l'anonymat ni de l'absence d'a priori, favorable ou défavorable, mais d'une certaine forme de modestie. Du moins, d'une réception critique et publique relativement vierge des exaspérations collatérales qui, entourant un livre, détournent les regards qui croient se porter sur lui. Et l'évidence s'impose que Houellebecq franchit aujourd'hui formidablement ce cap. Donnant, avec ce livre, son roman peut-être le plus accompli, certainement le plus ironique, sans doute le plus profond.
Pourquoi La Carte et le Territoire ? Parce
que « la carte est plus intéressante que le territoire », révélation
qui saute aux yeux de l'artiste plasticien Jed Martin, alors qu'il a sous les
yeux la photo satellite d'un coin d'Alsace et la carte Michelin de la même
zone, et que le saisit la beauté de la seconde. La carte est-elle plus
intéressante que le territoire, autrement dit la représentation du réel est-elle
plus passionnante que le réel lui-même ? N'est-elle pas notre seul et unique
moyen d'appréhender ce réel dont l'essence est d'échapper à toute appréhension,
de ne pouvoir être saisi ? Ample, inépuisable question qui sous-tend ce roman,
dont les deux figures majeures sont d'ailleurs des artistes. Il y a Jed Martin,
donc, trentenaire aimable et insociable, néanmoins plasticien à succès, dans un
premier temps photographe d'objets prosaïques du quotidien, se tournant ensuite
vers la peinture figurative pour continuer, à travers des oeuvres organisées en
séries, à dresser un inventaire du monde contemporain, centré sur l'économie,
la production de biens de consommation, le pouvoir de l'argent. Au côté de Jed,
Michel Houellebecq lui-même – autoportrait de l'auteur en écrivain solitaire,
neurasthénique et maniaco-dépressif, qui plus est promis à une mort aussi
esthétiquement étrange que tragique...
Autour de ces deux personnages, Michel Houellebecq
construit un roman à l'architecture extrêmement savante et parfaitement fluide, construction dans laquelle
s'inscrivent, par touches souvent cocasses
ou faussement dérisoires, les
éléments constitutifs d'un tableau du monde contemporain tel que l'auteur le
voit, tel qu'il s'en moque, tel qu'il s'en désespère peut-être : le règne de
l'argent et de la vulgarité, les impostures médiatico-mercantiles en vogue...
Rien de neuf, diront les uns. C'est vrai. Posture réac, diront les autres.
Libre à eux de réduire à cela la portée du roman. Ce qu'on ne peut que
constater pourtant, et souligner, c'est la façon dont s'agence, derrière
l'intrigue drolatique, au long du fil narratif fermement tenu, cette vision ironique du monde – donnant lieu à de
vraies ouvertures métaphysiques –, où trouvent place ces intuitions sur
l'expérience humaine, sur la place de l'homme dans l'Histoire, dans le temps,
qui font de Houellebecq, depuis toujours, un écrivain singulier, important.
Il y a aussi, de fait, beaucoup de Michel
Houellebecq lui-même dans La Carte et le Territoire ; sans doute
y a-t-il autant de lui-même dans le personnage de Jed que dans celui qui porte
son nom. Et qui sait s'il n'est pas aussi présent caché sous d'autres masques,
travesti dans d'autres corps – jusque dans celui de ce petit chien aussi
adorable qu'inquiétant, parce qu'asexué et demeuré pour toujours un inoffensif
chiot nommé Michou ? La Carte et le Territoire s'offre ainsi à lire,
aussi et avant tout, comme un autoportrait extravagant
et vertigineux, insaisissable et sarcastique,
duquel se dégage en outre une sorte de mélancolie, non pas nouvelle – sous
l'écorce cynique voire nihiliste de
ses romans, la mélancolie toujours a été présente, palpable – mais assumée.
Cette mélancolie, la voilà même devenue la tonalité dominante : à travers ce
prisme, le pessimisme de Houellebecq tend vers les ténèbres.
Nathalie Crom, Telerama
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