mercredi 30 juillet 2014

Plateforme

Michel Houellebecq, Plateforme
 Au milieu du monde, roman,
 Flammarion, 2001.
Après la mort de son père, Michel, fonctionnaire quadragénaire et blasé, décide de partir en Thaïlande pour goûter aux plaisirs exotiques. Il y rencontre Valérie, cadre dans une grande société de voyages, à qui il soufflera sa théorie sur les vraies motivations des Européens en quête de sensations fortes. Embarqué dans la lutte pour le profit à tout prix, où le corps est plus que jamais une marchandise, Michel jette un regard cynique sur la société occidentale. Il sera peut-être surpris de découvrir que l'être humain est encore capable de sentiments...

De l'exotisme et du pittoresque, du sexe et du fanatisme, tels sont les ingrédients (torrides et subversifs) de Plateforme, dernier roman de Michel Houellebecq, probablement l'écrivain le plus controversé aujourd'hui… Michel est un employé du ministère de la Culture. Il vit simplement, au rythme des feuilletons et des jeux télé, des peep shows au sortir du boulot, des purées Mousline dégluties machinalement… À la mort de son père, "un vieux con", il se décide pour un séjour en Thaïlande, en "voyage organisé" sous la houlette de Nouvelles Frontières. Accompagné par une galerie de "beaufs", armés du Guide du routard, le narrateur visite les sites touristiques de Bangkok à Surat Thani, de Patong Beach à Koh Phi Phi, se livre au plaisir du body massage, quête les bars à putes, se lie avec Valérie. Ensemble, ils voyageront à Cuba, multipliant les expériences sexuelles, ici et là…

Cinglant et drôle, rarement avare d'outrances (sexuelles), observateur attentif, sarcastique même, l'écrivain ne rate rien de son époque. Fable sur les voyages organisés, regard sur le tourisme sexuel et le "déploiement du monde", Plateforme aurait pu n'être qu'un exercice littéraire de dénonciation mise en scène par une sensibilité exacerbée. Si le texte connaît des longueurs, c'est aussi le juste portrait d'une société moyenne, peuplée d'individus moyens, parfois médiocres, avec ses paradis et ses enfers. --Céline Darner


Quatrième de couverture : « Mon père est mort il y a un an. Je ne crois pas à cette théorie selon laquelle on devient réellement adulte à la mort de ses parents ; on ne devient jamais réellement adulte.

Devant le cercueil du vieillard, des pensées déplaisantes me sont venues. II avait profité de la vie, le vieux salaud ; il s'était démerdé comme un chef. "T'as eu des gosses, mon con... me dis-je avec entrain ; t'as fourré ta grosse bite dans la chatte à ma mère." Enfin j'étais un peu tendu, c'est certain ; ce n'est pas tous les jours qu'on a des morts dans sa famille. J'avais refusé de voir le cadavre. J'ai quarante ans, j'ai déjà eu l'occasion de voir des cadavres ; maintenant, je préfère éviter. C'est ce qui m'a toujours retenu d'acheter un animal domestique.

Je ne me suis pas marié, non plus. J'en ai eu l'occasion, plusieurs fois ; mais à chaque fois j'ai décliné. Pourtant, j'aime bien les femmes. C'est un peu un regret, dans ma vie, le célibat. C'est surtout gênant pour les vacances. Les gens se méfient des hommes seuls en vacances, à partir d'un certain âge : ils supposent chez eux beaucoup d'égoïsme et sans doute un peu de vice ; je ne peux pas leur donner tort.
»

Plateforme est le troisième roman de Michel Houellebecq.

Extraits

Histoire d'amour et de sexe






















A propos du tourisme sexuel

















Plateforme et le Coran (extrait de l'article Le roman et l’inacceptable)

A quatre reprises, l’islam et son livre sacré, le Coran, y font l’objet de violentes attaques :
trois fois par la bouche de personnages, une fois par celle du narrateur Michel. La critique
est ainsi déléguée à des instances de fiction, et de manière très construite.

Le roman compte trois parties. Chacune met en scène un personnage critique, tous émanent du monde musulman, mais ils ont rejeté ses principes religieux. Enoncée fictivement de l’intérieur, la critique gagne en légitimité :

  1. Aïcha jeune femme de ménage, dont le frère est soupçonné d’assassinat
  2. un biochimiste égyptien 
  3. un banquier jordanien. 
(...) Que conclure de ces interventions sur l’islam dans le roman ? Elles recourent à quatre procédés caractéristiques du roman à thèse : toute l’intrigue s’oriente vers une seule thèse anti-islamique.
Mais s’il y a «thèse», faut-il la lire sérieusement ? Plusieurs indices invitent à une lecture distanciée. Houellebecq exhibe l’artifice de la délégation critique : les trois personnages opposés à l’islam sont dénués de toute consistance romanesque ; purs supports doxiques, leur unique apparition se limite à déclamer leur opinion sous forme quasi monologuée; aucun débat d’idées ne vient dramatiser l’exposé de la thèse. (...)

Autrement dit, tant sur le plan de l’immersion fictionnelle, que sur ceux de la narratologie et de la rhétorique, Houellebecq maintient constamment l’ambiguïté sur la manière de lire sa fiction.

Aux tirades anti-islamiques des personnages et du narrateur, le débat de presse vient ajouter un élément décisif : les déclarations de l’auteur lui-même, commentant son livre, sur le Coran. La polémique s’est déroulée sur plusieurs mois, dans les grands médias français et internationaux pour atteindre son point d’orgue au moment du procès, avec l’intervention publique de Salman Rushdie en faveur de Houellebecq.


Extraits en rapport :

1- Aïcha, jeune femme de ménage nord-africaine, dont le frère est accusé d’avoir tué le père de Michel : «Je n’ai rien à attendre de ma famille, poursuivit-elle avec une colère rentrée. Non seulement ils sont pauvres, mais en plus ils sont cons. Il y a deux ans, mon père a fait le pèlerinage de La Mecque ; depuis, il n’y a plus rien à en tirer. Mes frères, c’est encore pire : ils s’entretiennent mutuellement dans leur connerie, il se bourrent la gueule au pastis tout en se prétendant les dépositaires de la vraie foi, et ils se permettent de me traiter de salope parce que j’ai envie de travailler plutôt que d’épouser un connard dans leur genre.»

2- Un biochimiste égyptien émigré en Angleterre revient en visite dans son pays natal et évoque l’Islam au narrateur : «Quand je pense que ce pays a tout inventé ! [...] L’architecture, l’astronomie, les mathématiques, l’agriculture, la médecine... (il exagérait un peu, mais c’était un Oriental et il avait besoin de me persuader rapidement). Depuis l’apparition de l’islam, plus rien. Le néant absolu, le vide total. Nous sommes devenus un pays de mendiants pouilleux. [...] Il faut vous souvenir, cher monsieur (il parlait couramment cinq langues étrangères : le français, l’allemand, l’anglais, l’espagnol et le russe), que l’islam est né en plein désert, au milieu de scorpions, de chameaux et d’animaux féroces de toutes espèces. Savez-vous comment j’appelle les musulmans ? Les minables du Sahara. Voilà le seul nom qu’ils méritent. Croyez-vous que l’islam aurait pu naître dans une région aussi splendide (il désigna de nouveau la vallée du Nil avec une émotion réelle). Non, monsieur. L’islam ne pouvait naître que dans un désert stupide, au milieu de bédouins crasseux qui n’avaient rien d’autre à faire — pardonnez-moi — que d’enculer leurs chameaux. Plus une religion s’approche du monothéisme — songez-y bien, cher monsieur —, plus elle est inhumaine et cruelle ; et l’islam est, de toutes les religions, celle qui impose le monothéisme le plus radical. Dès sa naissance il se signale par une succession ininterrompue de guerres d’invasion et de massacres ; jamais, tant qu’il existera, la concorde ne pourra régner sur le monde. Jamais non plus, en terre musulmane, l’intelligence et le talent ne pourront trouver leur place ; s’il y a eu des mathématiciens, des poètes, des savants arabes, c’est tout simplement parce qu’ils avaient perdu la foi. A la lecture du Coran, déjà, on ne peut manquer d’être frappé par la regrettable ambiance de tautologie qui caractérise l’ouvrage : «Il n’y a d’autre Dieu que Dieu seul», etc. Avec ça, convenez-en, on ne peut pas aller bien loin.»

3- Le banquier jordanien se confie à Michel, qui s’avoue «convaincu d’emblée» par sa thèse «Le problème des musulmans, me dit-il, c’est que le paradis promis par le prophète existe déjà ici-bas : il y avait des endroits sur cette terre où des jeunes filles disponibles et lascives dansaient pour le plaisir des hommes, où l’on pouvait s’enivrer de nectars en écoutant une musique aux accents célestes ; il y en avait une vingtaine dans un rayon de cinq cents mètres autour de l’hôtel. Ces endroits étaient aisément accessibles, pour y entrer il n’était nullement besoin de remplir les sept devoirs du musulman, ni de s’adonner à la guerre sainte ; il suffisait de payer quelques dollars. [...] Pour lui, il n’y avait aucun doute, le système musulman était condamné : le capitalisme serait le plus fort. Déjà les jeunes Arabes ne rêvaient que de consommation et de sexe.»

4- Le narrateur Michel, après l’attentat qui a coûté la vie à Valérie : «On peut certainement rester en vie en étant simplement animé par un sentiment de vengeance ; beaucoup de gens ont vécu de cette manière. L’islam avait brisé ma vie et l’islam était certainement quelque chose que je pouvais haïr ; les jours suivants, je m’appliquai à éprouver de la haine pour les musulmans. Chaque fois que j’apprenais qu’un terroriste palestinien, ou un enfant palestinien, ou une femme enceinte palestinienne, avait été abattu par balles dans la bande de Gaza, j’éprouvais un tressaillement d’enthousiasme à la pensée qu’il y avait un musulman de moins.»

Le roman le plus maîtrisé de Houellebecq selon ses lecteurs ... www.lemonde.fr

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