Un titre léger et lumineux qui annonce une histoire d’amour drôle ou grinçante, tendre ou grave, fascinante et inoubliable, composée par un écrivain de vingt-six ans. C’est un conte de l’époque du jazz et de la science-fiction, à la fois comique et poignant, heureux et tragique, féerique et déchirant. Dans cette œuvre d’une modernité insolente, livre culte depuis plus de cinquante ans, Duke Ellington croise le dessin animé, Sartre devient une marionnette burlesque, la mort prend la forme d’un nénuphar, le cauchemar va jusqu’au bout du désespoir.
Mais seules deux choses demeurent éternelles et triomphantes : le bonheur ineffable de l’amour absolu et la musique des Noirs américains…
La poésie du conte, son imaginaire débordant enchante ... jusqu’à ce que l'univers merveilleux et fantastique dévoile son coté macabre ... et là, on mesure la portée du roman de Boris Vian : satire de la sociéte, dénonciation du monde du travail qui transforme les hommes en machines, critique du culte de personnalité ... L'amour quant à lui semble vide... Il est une occupation, une chose à connaître, une sensation que l'on veut ressentir... La personne à aimer n'a pas d'importance, c'est se dire amoureux qui met en exaltation de joie...
Il est communément admis que Vian a piqué l’idée du pianocoktail chez Huysman, lequel, selon toute vraisemblance, s’était inspiré de « l’orgue des saveurs » de l’abbé Poncelet, qui construisit, dans les années 1830, le premier de ces instruments.
Mais seules deux choses demeurent éternelles et triomphantes : le bonheur ineffable de l’amour absolu et la musique des Noirs américains…
RECTO l'univers merveilleux et fantastique EXTRAIT :
« - Prendras-tu un apéritif ? demanda Colin. Mon pianococktail est achevé, tu pourrais l’essayer.
- Il marche ? demanda Chick.
- Parfaitement. J’ai eu du mal à le mettre au point, mais le résultat dépasse mes espérances. J’ai obtenu, à partir, de la Black and Tan Fantasy, un mélange vraiment ahurissant.
- Quel est ton principe ? demanda Chick.
- A chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l’œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l’eau de Selbtz, il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d’unité, à la noire l’unité, à la ronde le quadruple unité. Lorsque l’on joue un air lent, un système de registre est mis en action, de façon que la dose ne soit pas augmentée – ce qui donnerait un cocktail trop abondant – mais la teneur en alcool. Et, suivant la durée de l’air, on peut, si l’on veut, faire varier la valeur de l’unité, la réduisant, par exemple au centième, pour pouvoir obtenir une boisson tenant compte de toutes les harmonies au moyen d’un réglage latéral.
- C’est compliqué, dit Chick.
- Le tout est commandé par des contacts électriques et des relais. Je ne te donne pas de détails, tu connais ça. Et d’ailleurs, en plus, le piano fonctionne réellement.
- C’est merveilleux ! dit Chick.
- Il n’y a qu’une chose gênante, dit Colin, c’est la pédale forte pour l’œuf battu. J’ai dû mettre un système d’enclenchement spécial, parce que lorsqu’on joue un morceau trop « hot », il tombe des morceaux d’omelettes dans le cocktail, et c’est dur à avaler. Je modifierai ça. Actuellement, il suffit de faire attention. Pour la crème fraîche, c’est le sol grave.
- Je vais m’en faire un sur Loveless Love, dit Chick. Ça va être terrible.
-Il est encore dans le débarras dont je me suis fait un atelier, dit Colin, parce que les plaques de protection ne sont pas vissées. Viens, on va y aller. Je le règlerai pour deux cocktails de vingt centilitres environ, pour commencer.
- Il marche ? demanda Chick.
- Parfaitement. J’ai eu du mal à le mettre au point, mais le résultat dépasse mes espérances. J’ai obtenu, à partir, de la Black and Tan Fantasy, un mélange vraiment ahurissant.
- Quel est ton principe ? demanda Chick.
- A chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l’œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l’eau de Selbtz, il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d’unité, à la noire l’unité, à la ronde le quadruple unité. Lorsque l’on joue un air lent, un système de registre est mis en action, de façon que la dose ne soit pas augmentée – ce qui donnerait un cocktail trop abondant – mais la teneur en alcool. Et, suivant la durée de l’air, on peut, si l’on veut, faire varier la valeur de l’unité, la réduisant, par exemple au centième, pour pouvoir obtenir une boisson tenant compte de toutes les harmonies au moyen d’un réglage latéral.
- C’est compliqué, dit Chick.
- Le tout est commandé par des contacts électriques et des relais. Je ne te donne pas de détails, tu connais ça. Et d’ailleurs, en plus, le piano fonctionne réellement.
- C’est merveilleux ! dit Chick.
- Il n’y a qu’une chose gênante, dit Colin, c’est la pédale forte pour l’œuf battu. J’ai dû mettre un système d’enclenchement spécial, parce que lorsqu’on joue un morceau trop « hot », il tombe des morceaux d’omelettes dans le cocktail, et c’est dur à avaler. Je modifierai ça. Actuellement, il suffit de faire attention. Pour la crème fraîche, c’est le sol grave.
- Je vais m’en faire un sur Loveless Love, dit Chick. Ça va être terrible.
-Il est encore dans le débarras dont je me suis fait un atelier, dit Colin, parce que les plaques de protection ne sont pas vissées. Viens, on va y aller. Je le règlerai pour deux cocktails de vingt centilitres environ, pour commencer.
Chick se mit au piano. A la fin de l’air, une partie du panneau de devant se rabattit d’un coup sec et une rangée de verres apparut. Deux d’entre eux étaient pleins à ras bord d’une mixture appétissante.
- J’ai eu peur, dit Colin. Un moment, tu as fait une fausse note. Heureusement, c’était dans l’harmonie.
- Ça tient compte de l’harmonie ? dit Chick.
- Pas pour tout, dit Colin. Ce serait trop compliqué. Il y a quelques servitudes seulement. Bois et viens à table. »
Un pianocktail :
création de Géraldine Schenkel- J’ai eu peur, dit Colin. Un moment, tu as fait une fausse note. Heureusement, c’était dans l’harmonie.
- Ça tient compte de l’harmonie ? dit Chick.
- Pas pour tout, dit Colin. Ce serait trop compliqué. Il y a quelques servitudes seulement. Bois et viens à table. »
Un pianocktail :
Il est communément admis que Vian a piqué l’idée du pianocoktail chez Huysman, lequel, selon toute vraisemblance, s’était inspiré de « l’orgue des saveurs » de l’abbé Poncelet, qui construisit, dans les années 1830, le premier de ces instruments.
CLIC Pour de vrai !
VERSO un monde macabre et cruel ... EXTRAIT :
Chick passa la poterne de contrôle et donna sa carte à pointer à la machine. Comme d'habitude, il trébucha sur le seuil de la porte métallique du passage d'accès aux ateliers et une bouffée de vapeur et de fumée noire le frappa violemment à la face. Les bruits commençaient à lui parvenir : sourd vrombissement des turboalternateurs généraux, chuintement des ponts roulants sur les poutrelles entrecroisées, vacarme des vents violents, de l'atmosphère se ruant sur les tôles de la toiture. Le passage était très sombre, éclairé tous les six mètres, par une ampoule rougeâtre, dont la lumière ruisselait paresseusement sur les objets lisses, s'accrochant, pour les contourner, aux rugosités des parois et du sol. Sous ses pieds, la tôle bosselée était chaude, crevée par endroits, et l'on apercevait, par les trous, la gueule rouge et sombre des fours de pierre tout en bas. Les fluides passaient en ronflant dans de gros tuyaux peints en gris et rouge, au-dessus de sa tête, et, à chaque pulsation du coeur mécanique que les chauffeurs mettaient sous pression, la charpente s'infléchissait légèrement vers l'avant avec un faible retard et une vibration profonde. Des gouttes se formaient sur la paroi, se détachant parfois lors d'une pulsation plus forte, et, quand une de ces gouttes lui tombait sur le cou, Chick frissonnait. C'était une eau terne et qui sentait l'ozone. Le passage tournait tout au bout, et le sol, maintenant, à claire-voie, dominait les ateliers. En bas, devant chaque machine trapue, un homme se débattait, luttant pour ne pas être déchiqueté par les engrenages avides. Au pied droit de chacune, un lourd anneau de fer était fixé. On ne l'ouvrait que deux fois par jour : au milieu de la journée et le soir. Ils disputaient aux machines les pièces métalliques qui sortaient en cliquetant des étroits orifices ménagés sur le dessus. Les pièces retombaient presque immédiatement, si on ne les recueillait pas à temps, dans la gueule, grouillante de rouages, où s'effectuait la synthèse. Il y avait des appareils de toutes les tailles. Chick connaissait bien ce spectacle. Il travaillait au bout de l'un de ces ateliers et devait contrôler la bonne marche des machines et donner aux hommes des indications pour les remettre en état lorsqu'elles s'arrêtaient après leur avoir arraché un morceau de chair. Pour purifier l'atmosphère, de longs jets d'essence traversaient obliquement la pièce, luisants de reflets, par places, et condensant autour d'eux les fumées et les poussières de métal et d'huile chaude qui montaient en colonnes droites et minces au-dessus de chaque machine. Chick releva la tête. Les tuyaux le suivaient toujours. Il arriva à la cage de la plate-forme de descente, entra et referma la porte derrière-lui. Il tira de sa poche un livre de Partre, pressa le bouton de commande et se mit à lire en attendant d'atteindre le sol. Le choc sourd de la plate-forme sur le butoir le tira de sa torpeur. Il sortit et gagna son bureau, une boîte vitrée et faiblement éclairée d'où il pouvait surveiller les ateliers. Il s'assit, rouvrit son livre et reprit sa lecture, endormi par la pulsation des fluides et les rumeurs des machines. Une discordance dans le vacarme lui fit soudain lever les yeux. Il chercha d'où provenait le bruit suspect. Une des jets de purification venait de s'arrêter net au milieu de la salle et restait en l'air comme tranché en deux. Les quatre machines qu'il avait cessé de desservir, trépidaient. On les voyait remuer à distance, et, devant chacune d'elles, une forme s'affaissait peu à peu. Chick posa son livre et se rua au-dehors. Il courut vers le tableau de manoeuvre des jets et baissa rapidement une poignée. Le jet brisé restait immobile. On eût dit une lame de faux et les fumées de quatre machines montaient en l'air en tourbillonnant. Il abandonna le tableau et se précipita vers les machines. Elles s'arrêtaient lentement. Les hommes qui y étaient affectés gisaient à terre. Leur jambe droite repliée formait un angle bizarre, à cause de l'anneau de fer et leurs quatre mains droites étaient sectionnées au poignet. Le sang brûlait au contact du métal de la chaîne et répandait dans l'air une odeur horrible de bête vivante carbonisée. Chick, au moyen de sa clef, défit les anneaux qui retenaient les corps et étendit ceux-ci devant les machines. Il regagna son bureau, et commanda, par téléphone, les brancardiers de service. Il revint ensuite près du tableau de manoeuvre et tenta de remettre le jet en marche. Rien n'y faisait. Le liquide partait bien droit, mais, arrivé au niveau de la quatrième machine, disparaissait sur place, et l'on apercevait la tranche du jet, aussi nette que s'il eût été sectionné d'un coup de hache. Tâtant, avec ennui, son livre dans sa poche, il se dirigea vers le Bureau Central. Au moment de quitter l'atelier, il s'effaça pour laisser sortir les brancardiers qui avaient empilé les quatre corps sur un petit chariot électrique et s'apprêtaient à la déverser dans le Collecteur Général.
Pour finir, CLIC une analyse singulière
VERSO un monde macabre et cruel ... EXTRAIT :
Chick passa la poterne de contrôle et donna sa carte à pointer à la machine. Comme d'habitude, il trébucha sur le seuil de la porte métallique du passage d'accès aux ateliers et une bouffée de vapeur et de fumée noire le frappa violemment à la face. Les bruits commençaient à lui parvenir : sourd vrombissement des turboalternateurs généraux, chuintement des ponts roulants sur les poutrelles entrecroisées, vacarme des vents violents, de l'atmosphère se ruant sur les tôles de la toiture. Le passage était très sombre, éclairé tous les six mètres, par une ampoule rougeâtre, dont la lumière ruisselait paresseusement sur les objets lisses, s'accrochant, pour les contourner, aux rugosités des parois et du sol. Sous ses pieds, la tôle bosselée était chaude, crevée par endroits, et l'on apercevait, par les trous, la gueule rouge et sombre des fours de pierre tout en bas. Les fluides passaient en ronflant dans de gros tuyaux peints en gris et rouge, au-dessus de sa tête, et, à chaque pulsation du coeur mécanique que les chauffeurs mettaient sous pression, la charpente s'infléchissait légèrement vers l'avant avec un faible retard et une vibration profonde. Des gouttes se formaient sur la paroi, se détachant parfois lors d'une pulsation plus forte, et, quand une de ces gouttes lui tombait sur le cou, Chick frissonnait. C'était une eau terne et qui sentait l'ozone. Le passage tournait tout au bout, et le sol, maintenant, à claire-voie, dominait les ateliers. En bas, devant chaque machine trapue, un homme se débattait, luttant pour ne pas être déchiqueté par les engrenages avides. Au pied droit de chacune, un lourd anneau de fer était fixé. On ne l'ouvrait que deux fois par jour : au milieu de la journée et le soir. Ils disputaient aux machines les pièces métalliques qui sortaient en cliquetant des étroits orifices ménagés sur le dessus. Les pièces retombaient presque immédiatement, si on ne les recueillait pas à temps, dans la gueule, grouillante de rouages, où s'effectuait la synthèse. Il y avait des appareils de toutes les tailles. Chick connaissait bien ce spectacle. Il travaillait au bout de l'un de ces ateliers et devait contrôler la bonne marche des machines et donner aux hommes des indications pour les remettre en état lorsqu'elles s'arrêtaient après leur avoir arraché un morceau de chair. Pour purifier l'atmosphère, de longs jets d'essence traversaient obliquement la pièce, luisants de reflets, par places, et condensant autour d'eux les fumées et les poussières de métal et d'huile chaude qui montaient en colonnes droites et minces au-dessus de chaque machine. Chick releva la tête. Les tuyaux le suivaient toujours. Il arriva à la cage de la plate-forme de descente, entra et referma la porte derrière-lui. Il tira de sa poche un livre de Partre, pressa le bouton de commande et se mit à lire en attendant d'atteindre le sol. Le choc sourd de la plate-forme sur le butoir le tira de sa torpeur. Il sortit et gagna son bureau, une boîte vitrée et faiblement éclairée d'où il pouvait surveiller les ateliers. Il s'assit, rouvrit son livre et reprit sa lecture, endormi par la pulsation des fluides et les rumeurs des machines. Une discordance dans le vacarme lui fit soudain lever les yeux. Il chercha d'où provenait le bruit suspect. Une des jets de purification venait de s'arrêter net au milieu de la salle et restait en l'air comme tranché en deux. Les quatre machines qu'il avait cessé de desservir, trépidaient. On les voyait remuer à distance, et, devant chacune d'elles, une forme s'affaissait peu à peu. Chick posa son livre et se rua au-dehors. Il courut vers le tableau de manoeuvre des jets et baissa rapidement une poignée. Le jet brisé restait immobile. On eût dit une lame de faux et les fumées de quatre machines montaient en l'air en tourbillonnant. Il abandonna le tableau et se précipita vers les machines. Elles s'arrêtaient lentement. Les hommes qui y étaient affectés gisaient à terre. Leur jambe droite repliée formait un angle bizarre, à cause de l'anneau de fer et leurs quatre mains droites étaient sectionnées au poignet. Le sang brûlait au contact du métal de la chaîne et répandait dans l'air une odeur horrible de bête vivante carbonisée. Chick, au moyen de sa clef, défit les anneaux qui retenaient les corps et étendit ceux-ci devant les machines. Il regagna son bureau, et commanda, par téléphone, les brancardiers de service. Il revint ensuite près du tableau de manoeuvre et tenta de remettre le jet en marche. Rien n'y faisait. Le liquide partait bien droit, mais, arrivé au niveau de la quatrième machine, disparaissait sur place, et l'on apercevait la tranche du jet, aussi nette que s'il eût été sectionné d'un coup de hache. Tâtant, avec ennui, son livre dans sa poche, il se dirigea vers le Bureau Central. Au moment de quitter l'atelier, il s'effaça pour laisser sortir les brancardiers qui avaient empilé les quatre corps sur un petit chariot électrique et s'apprêtaient à la déverser dans le Collecteur Général.
Pour finir, CLIC une analyse singulière
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